Le retrait du permis de conduire ne justifie pas un licenciement disciplinaire

Publié le par bara de la cgt

 

La Cour de cassation considère que la suspension ou le retrait de permis d’unsalarié, à la suite d’infractions commises dans le cadre de sa vie privée, ne peut faire l’objet d’aucune sanction disciplinaire.

 

Le salarié ne peut donc pas être licencié pour faute [1]. Un licenciement de droit commun peut toutefois être prononcé en cas de trouble objectif causé à l’entreprise.

→ Faits : un salarié, engagé en qualité d’ouvrier nettoyeur, a pour activité de sortir les poubelles de différentes copropriétés, ce qui nécessite la conduite d’un véhicule.

 

À la suite de plusieurs infractions au Code de la route ayant entraîné la perte de la totalité des points de son permis de conduire, celui-ci lui est retiré. Il en informe aussitôt son employeur qui le licencie pour faute grave un mois plus tard, au motif qu’il n’est plus en mesure de conduire le véhicule mis à sa disposition dans le cadre de son activité professionnelle. Il conteste son licenciement disciplinaire devant la juridiction prud’homale. Avec raison.

→ Solution : un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut, en principe, justifier un licenciement disciplinaire, sauf s’il constitue un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail.

 

Mettant fin au doute, la Cour de cassation indique que le fait pour un salarié qui utilise un véhicule dans l’exercice de ses fonctions de commettre, dans le cadre de sa vie personnelle, une infraction entraînant la suspension ou le retrait de son permis de conduire ne saurait être regardé comme une méconnaissance par l’intéressé des obligations découlant de son contrat de travail.

 

Le licenciement, prononcé pour motif disciplinaire, était donc dépourvu de cause réelle et sérieuse. L’employeur a dû verser à son ancien salarié un rappel de salaire correspondant à la période de mise à pied ainsi que l’indemnité compensatrice de préavis [Cass. soc., 3 mai 2011, n° 09-67.464].

En principe, un salarié ne peut pas être sanctionné pour des faits relevant de sa vie privée

En principe, un fait de la vie personnelle du salarié ne peut pas constituer une faute [Cass. soc., 16 déc. 1997, n° 95-41.326 ; Cass. soc., 21 oct. 2003, n° 00-45.291].

 

 La vie personnelle recouvre non seulement la vie privée mais aussi l’exercice des libertés civiles, les opinions politiques et la participation à un mouvement politique ou associatif .

 

Seuls les agissements commis par le salarié en situation de travail peuvent donner lieu à sanction disciplinaire. Même si les faits commis à l’extérieur causent un trouble objectif à l’entreprise, le salarié ne peut faire l’objet d’aucune mesure disciplinaire [Cass. ch. mixte, 18 mai 2007, n° 05-40.803]. Il peut en revanche être licencié pour cause réelle et sérieuse (voir p. 14).

Par exception, des agissements extérieurs au travail peuvent être sanctionnés :

– s’ils caractérisent un manquement à l’obligation de loyauté ou de probité dans l’exécution du contrat.

 

Tel est le cas d’un salarié qui exerce une activité lucrative pendant un arrêt de travail pour maladie. Dans cette hypothèse, le licenciement pour faute est possible [Cass. soc., 21 oct. 2003, n° 01-43.943] ;

– ou s’ils se rattachent à la vie professionnelle du salarié : par exemple pour un moniteur d’atelier en arrêt maladie ayant tenu, lors d’une foire, des propos injurieux à l’égard de sa supérieure hiérarchique devant trois adultes handicapés qu’il encadrait habituellement ; il a pu être licencié pour faute grave [Cass. soc., 10 déc. 2008, n° 07-41.820].

Comment la Cour de cassation applique-t-elle ces principes en matière de suspension ou de retrait de permis ?

Le retrait de permis ne peut pas donner lieu à sanction disciplinaire

La Cour de cassation considérait auparavant que le fait, pour un salarié utilisant un véhicule dans l’exercice de ses fonctions, de se voir retirer son permis de conduire pour conduite sous l’empire d’un état alcoolique, même commis en dehors de son temps de travail, pouvait se rattacher à sa vie professionnelle et constituer dès lors un motif de licenciement disciplinaire [Cass. soc., 2 déc. 2003, n° 01-43.227 ; Cass. soc., 19 mars 2008, n° 06-45.212]. L’affaire ici commentée témoigne de l’évolution de la Cour de cassation en la matière.

 

Celle-ci rappelle le principe d’interdiction des mesures disciplinaires ayant pour origine un fait de la vie personnelle, sauf manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail.

 

Elle ajoute, et c’est là toute la nouveauté, que le retrait ou la suspension de permis ne peut en aucun cas être considéré comme une exception autorisant une sanction disciplinaire.

En l’occurrence, l’intéressé avait perdu successivement tous les points figurant sur son permis, à la suite de plusieurs infractions au Code de la route, dont le défaut de port, à plusieurs reprises, de sa ceinture de sécurité.

 

Certes, cette dernière infraction semble moins grave que la conduite en état d’ivresse, notamment s’agissant de la sécurité des tiers.

 

On aurait pu imaginer que la Cour admettrait le licenciement pour faute s’agissant d’un retrait de permis pour état d’ivresse ou grand excès de vitesse et, pour des infractions mineures, écarterait toute sanction disciplinaire. En réalité, elle ne distingue pas les infractions à l’origine du retrait de permis.

Elle pose un principe général : le fait pour un salarié qui utilise un véhicule dans l’exercice de ses fonctions de commettre, dans le cadre de sa vie personnelle, une infraction entraînant la suspension ou le retrait de son permis de conduire ne saurait être regardé comme une méconnaissance par l’intéressé des obligations découlant de son contrat de travail.

 

La Cour a peut-être été influencée par un arrêt rendu il y a quelques mois par le Conseil d’État, lequel avait statué en des termes identiques : « le fait, pour un salarié recruté sur un emploi de chauffeur, de commettre, dans le cadre de sa vie privée, une infraction de nature à entraîner la suspension de son permis de conduire, ne saurait être regardé comme une méconnaissance par l’intéressé de ses obligations contractuelles à l’égard de son employeur » [CE, 15 déc. 2010, n° 316856] ; (voir Social pratique n° 563, p. 9).

Un licenciement de droit commun est toujours possible

S’il est désormais clairement interdit de licencier pour motif disciplinaire un salarié en raison de la suspension ou du retrait de son permis de conduire, rien n’empêche l’employeur de se séparer de l’intéressé en suivant la procédure de licenciement de droit commun, dès lors qu’un trouble objectif au sein de l’entreprise est caractérisé.

 

Tel est le cas s’agissant de la suspension de permis de quatre mois d’un chauffeur-livreur, pour conduite sous l’empire d’un état alcoolique de son véhicule personnel.

 

Le licenciement du salarié est justifié, puisque celui-ci n’est plus en mesure d’effectuer sa prestation de travail du fait de la suspension de son permis [Cass. soc., 1er avr. 2009, n° 08-42.071].

 

Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 3 mai 2011, la Cour de cassation a considéré que le licenciement, dès lors qu’il avait été prononcé pour motif disciplinaire, était dépourvu de cause réelle et sérieuse. L’employeur était bien autorisé à licencier mais pas sur le terrain disciplinaire. Le préavis était donc dû.

En résumé, la suspension ou le retrait du permis de conduire d’un salarié qui utilise un véhicule pour exercer ses fonctions, à la suite d’infractions commises dans le cadre de sa vie personnelle, peut justifier uniquement un licenciement non disciplinaire, et ce en raison du trouble engendré dans l’entreprise.

 

Bien que, faute de permis, le salarié ne soit plus en mesure d’exécuter sa prestation de travail, une indemnité compensatrice de préavis lui est due.

 

À NOTER

Il n’est pas interdit à l’employeur d’anticiper une éventuelle suspension voire un retrait de permis de ses salariés. Il peut en effet insérer dans les contrats de travail ou dans le règlement intérieur une clause imposant au salarié d’informer l’entreprise de toute modification affectant son permis de conduire.

 

Il n’a en revanche pas le droit d’enquêter sur la perte de points du permis de conduire d’un salarié [CAA Paris, 6e ch., 21 nov. 2006, n° 04PA01132].

1/ Cass. soc., 3 mai 2011, n° 09-67.464.

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