Établir et respecter les temps de repos

Comme le temps de travail, le temps de repos des salariés est réglementé. Comment doit-on le définir et le décompter ?

« Une société au travail ne pense qu’au repos » pourrait-on écrire. Après l’épreuve de la réduction de la durée du travail à 35 heures, voici celle des 35 heures de repos. Un enjeu délicat avec des contraintes d’origine constitutionnelle et européenne.
L’alinéa 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 rappelle qu’elle garantit à tous la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. De son côté, le droit européen impose, depuis 1993, des temps de repos obligatoires.

Quels sont les enjeux pour l’entreprise ?
Que doit-elle mettre en place ?
Comment décompter ce temps de repos, notamment pour les cadres en forfait en jours ?
Le « badgage » des heures de présence de l’ensemble du personnel est-il devenu obligatoire ?

Le repos du salarié, un principe européen

Les directives européennes fixent, depuis 1993, des prescriptions minimales de sécurité et de santé en matière de temps de repos (1). Selon ces directives, tous les travailleurs doivent disposer de périodes de repos suffisantes. Les textes communautaires invitent les pays membres à prévoir également un plafond pour la durée de la semaine de travail.

Objectifs : santé et sécurité

D’après la dernière directive, constitue une « période de repos toute période qui n’est pas du temps de travail », ce dernier étant défini comme « toute période durant laquelle le travailleur est au travail, à la disposition de l’employeur et dans l’exercice de son activité ou de ses fonctions, conformément aux législations et/ou pratiques nationales ».

Dans ce cadre, le repos journalier est d’une période minimale de 11 heures consécutives au cours de chaque période de 24 heures, auquel s’ajoute le repos hebdomadaire qui est une période minimale de repos sans interruption de 24 heures, soit 35 heures par période hebdomadaire. Toutefois, si les conditions objectives, techniques ou d’organisation du travail le justifient, une période minimale de repos de 24 heures pourra être retenue.
De son côté la CJCE précise que « les différentes prescriptions que la directive énonce en matière de temps minimal de repos constituent des règles du droit social communautaire revêtant une importance particulière dont doit bénéficier chaque travailleur en tant que prescription minimale nécessaire pour assurer la protection de sa sécurité et de sa santé » (2).

L’objectif sécuritaire est prioritaire pour les textes européens et le juge communautaire. De nombreuses études prouvent que de longues journées de travail et des périodes de repos insuffisantes, surtout sur de longues périodes, peuvent avoir des effets néfastes (augmentation du taux d’accidents et d’erreurs, stress et fatigue accrus, risques pour la santé à court et à long terme).

Pratiques non règlementaires

Pour la Commission européenne, les exigences de la directive en matière de durée maximale de travail, de congé annuel payé et de périodes minimales de repos « constituent des règles du droit social communautaire revêtant une importance particulière dont doit bénéficier chaque travailleur ».
D’après la Commission, les dérogations aux durées de repos mises en place vont bien au-delà de ce qu’autorise cette réglementation. Le principal problème pour la France est le retard dans l’octroi du repos compensateur, en contradiction avec l’arrêt Jaeger (3) pour ce qui est du repos quotidien. En effet, selon cet arrêt, lorsque des dérogations prévues par la directive et permettant la réduction du repos quotidien sont utilisées, il est nécessaire, pour pouvoir relever de ces dispositions dérogatoires, que des périodes de repos compensateur équivalentes à la durée du repos réduit soient accordées aux travailleurs concernés, à des moments qui succèdent immédiatement aux périodes de travail correspondantes.
Enfin, toujours selon la Commission, la pratique de la faculté de « non-participation » du salarié (« opt-out »), lui permettant de ne pas appliquer la durée maximale de 48 heures de travail par semaine, évolue mais semble peu répandue, notamment pour la France. Pour la Commission, les rapports nationaux de onze États membres et le rapport des syndicats à l’échelon européen font état de doutes sérieux sur l’efficacité du suivi et de l’application de la directive au niveau national. Les difficultés les plus citées sont :

  • les employeurs n’ont pas respecté les limites applicables au temps de travail, les périodes de référence ou les périodes minimales de repos journalier, ou n’ont pas tenu une comptabilité appropriée des temps de travail excessifs ;
  • le champ d’application imprécis de la dérogation prévue à l’article 17, paragraphe 1 (« travailleurs autonomes »).


Deux sujets qui sont les points d’orgue des contraintes réglementaires complexes, difficiles à respecter, notamment pour les PME. Car s’il est d’usage, dans ces dernières, de comptabiliser le temps de travail, il n’est pas naturel de compter les heures de repos.
Or, en Europe, les temps de repos sont une donnée juridique essentielle dont la loi française s’est fait l’écho.
Il ne sera pas question ici des congés payés qui ont fait l’objet d’articles spécifiques mais pour lesquels on peut cependant rappeler que, pour le juge communautaire, « le droit au congé annuel payé de chaque travailleur doit être considéré comme un principe du droit social de l’Union revêtant une importance particulière, auquel il ne saurait être dérogé » (4).

Les États membres « ne sauraient subordonner à quelque condition que ce soit la constitution même de ce droit » (5) avec donc une position très large sur la prise en compte des périodes de maladie pour acquérir le droit annuel à quatre semaines de congés payés et sur le fait que ces congés sont distincts d’une maladie, même survenue après le départ en congés !
Il s’agit, à travers la prise du congé, de permettre au travailleur « de se reposer et de disposer d’une période de détente et de loisirs », ce qui diffère du congé maladie, lequel permet au travailleur de se rétablir d’une maladie. Une affaire à suivre en France et dont nous n’avons pas fini de parler...

Repos quotidien obligatoire

Le Code du travail prévoit que tous les salariés assujettis à la législation sur la durée du travail doivent bénéficier d’un repos quotidien d’une durée minimale de 11 heures consécutives (6). Si la loi ne fixe pas le cadre dans lequel s’apprécie le repos quotidien de 11 heures, la Cour de cassation retient qu’il s’agit d’une période de 24 heures glissantes (7). Ce repos quotidien minimum ne s’applique pas aux personnels navigants de l’aviation civile (8), ni aux cadres dirigeants (9).

Comme le précise l’Administration du travail, « cet article transpose une disposition de la directive européenne du 23 novembre 1993 sur l’aménagement du temps de travail en créant une durée minimale de repos journalier qui n’existait pas jusqu’alors en droit interne. Cette durée minimale de 11 heures consécutives constitue un complément très important à la durée maximale journalière organisée par le deuxième alinéa de l’article L. 212-1 du Code du travail [devenu L. 3121-24] et permet, en particulier, de limiter l’amplitude de la journée de travail des salariés » (10).
Ainsi, viole le droit au repos quotidien d’un salarié l’employeur qui planifie une visite médicale à 8 heures du matin, alors que le salarié termine son service à 6 h 50 (11).

DURÉE ET AMÉNAGEMENT DU TEMPS DE TRAVAIL
Franck Morel
Ed. Revue Fiduciaire oct. 2012 Coll. Guide de gestion Rf 450 pages 55 €
Ce livre s’attache à présenter, avec rigueur et précision, le dispositif légal et réglementaire applicable en matière de durée du travail. Il en retrace les évolutions, il en présente avec clarté les principales caractéristiques, tout en mettant aussi en évidence à la fois les difficultés d’application, mais surtout les solutions applicables dans l’intérêt des entreprises et des salariés.

Pour assurer le respect du repos quotidien minimal de 11 heures consécutives des salariés qui ne sont pas soumis à un horaire collectif, l’employeur peut fixer pour l’établissement, l’atelier, le service ou l’équipe, une période quotidienne correspondant au moins à la durée de ce repos. Les heures auxquelles commence et finit cette période sont affichées dans l’entreprise. Si des salariés sont occupés durant la ou les périodes fixées par l’employeur ou lorsque celui-ci n’a pas fixé de période de repos quotidien, le respect de ce dernier doit être démontré par tous moyens (12). Ainsi, pour les horaires flexibles ou souples, la direction doit prouver que le repos quotidien de 11 heures est respecté.
Dans le fameux arrêt sur les forfaits en jours du 26 septembre 2012 (13), on peut même se demander si la Cour n’estime pas déraisonnable la situation d’un cadre présent dans l’entreprise entre 7 h 15 et 20 h, soit sur une amplitude ne permettant que 11 heures et 15 minutes de repos journalier.
Il ne fait aucun doute que ce repos est une durée minimale qui, en fonction des circonstances professionnelles ou de la charge de travail, peut s’avérer insuffisante pour assurer la protection de la santé du salarié.

Quels sont les salariés visés ?

La législation sur les repos quotidien et hebdomadaire s’applique à tous les salariés occupés par des employeurs de droit privé ainsi qu’à ceux des établissements publics à caractère industriel et commercial (14).
Seuls les cadres dirigeants sont expressément exclus de cette législation (15). En considération de nombreux dérapages, cette catégorie semble aujourd’hui restreinte à quelques collaborateurs. Selon la jurisprudence, seuls relèvent de cette catégorie les cadres participant à la direction de l’entreprise. En l’occurrence les membres d’un comité de direction. Tel n’est pas le cas d’une femme « responsable collection homme » d’une industrie textile (16). Il convient cependant de rappeler que, dans un arrêt du 29 juin 2011 (17), par lequel elle a indiqué quelles étaient les conditions de validité des accords permettant le recours aux conventions de forfait en jours, la Cour de cassation a fait référence aux dispositions de la directive européenne sur le temps de travail. Elle a rappelé dans cet arrêt qu’il résulte de cette directive que les États membres ne peuvent déroger aux dispositions relatives à la durée du temps de travail que dans le respect des principes généraux de la protection de la sécurité et de la santé du travailleur. Or le paragraphe 1 de l’article 17 de la directive européenne sur le temps de travail, qui fonde l’exclusion des cadres dirigeants de l’application de la plupart des dispositions du Code du travail relatives au temps de travail, précise bien que les articles relatifs au repos journalier, au temps de pause, au repos hebdomadaire, à la durée maximale du travail, à la durée du travail de nuit peuvent ne pas être applicables aux cadres dirigeants mais « dans le respect des principes généraux de la protection de la sécurité et de la santé des travailleurs ». Compte tenu du fait que, pour les forfaits en jours, le juge vérifie que le contenu de l’accord collectif fondant son recours permet de remplir cette condition, on ne peut qu’appeler à la vigilance pour les cadres dirigeants. La jurisprudence ne requiert pas à ce jour d’accord collectif pour ces personnes, mais il peut cependant être opportun de veiller, dans l’organisation du travail des cadres dirigeants, à la prise en compte de principes essentiels de protection de la santé et de la sécurité. Dans ces conditions, les salariés qui ont donc conclu des conventions de forfait annuel en jours bénéficient des repos quotidien et hebdomadaire.

Qu’est-ce que le repos ?

La question semble naïve, mais n’est pas sans nuance sur le plan juridique. Cette période non travaillée est-elle du temps libre, par exemple ? Pas forcément, dans la mesure où la directive communautaire prévoit que constitue une « période de repos, toute période qui n’est pas du temps de travail ». De son côté, le Code du travail ne définit pas ce que doit être le temps de repos. C’est donc la jurisprudence qui, progressivement, tisse les contours de cette définition où un salarié qui ne travaille pas n’est pas pour autant au repos. Ainsi, le repos obligatoire ne se confond pas avec la pause « qui s’analyse comme un arrêt de travail de courte durée sur le lieu de travail ou à proximité, qui n’est pas incompatible avec des interventions éventuelles et exceptionnelles demandées durant cette période au salarié en cas de nécessité, notamment pour des raisons de sécurité » (18).
Pas plus que ne constitue du temps de repos le temps passé par des médecins dans les locaux de l’entreprise, même s’il s’agit d’un véritable appartement avec plusieurs chambres permettant au praticien de garde d’y dormir et de recevoir ses proches (19).
En revanche, à l’exception des temps d’intervention, la période d’astreinte est prise en compte pour le calcul de la durée minimale de repos quotidien et des durées de repos hebdomadaire (20). Dès lors que l’astreinte fait l’objet, dans sa mise en place et ses modalités, de garanties destinées à en limiter le recours et à en faciliter le contrôle, la prise en compte des astreintes dans les repos quotidien et hebdomadaire n’est pas contraire au droit à la protection de la santé, au repos et aux loisirs, tels que prévus par la Constitution (21).
De cette jurisprudence, il ressort que le repos obligatoire est nécessairement pris à l’extérieur des locaux de l’entreprise et que le salarié doit être libre de vaquer librement à ses occupations personnelles et notamment à ses loisirs.

Comment établir le repos quotidien indispensable ?

Comme on vient de le voir, le repos quotidien est d’une durée minimale de 11 heures et a pour conséquence directe de limiter à 13 heures, sauf dérogation, l’amplitude de la journée de travail. Comme le repos hebdomadaire, le repos quotidien tend à permettre au personnel de récupérer une journée de travail laborieuse dans des conditions optimales pour retravailler le lendemain en toute sécurité.
Le repos, s’il a prioritairement un objectif sécuritaire, doit dès lors être considéré comme une période minimale non travaillée dont la durée peut être plus longue au regard de la charge de travail et de la nature prégnante de l’activité professionnelle (télétravail, formation, négociation, trajet, négociation...).
Pour calculer le temps de repos nécessaire, il faut apprécier sur une fourchette comprise entre 10 (22) et 13 heures d’amplitude quotidienne (23), soit sur 3 heures, le temps nécessaire à une récupération physique et physiologique normale.
Ainsi, dans le tableau 1 en page suivante, pour un commercial, le temps de récupération supplémentaire par rapport à cette fourchette de 3 heures de repos supplémentaire serait de 42,5 % de 3 heures, soit 1,275 heure ou 1 heure 16, soit un repos quotidien de 12 heures 16.
Dans un autre contexte, la nature des temps et leur qualification en termes de charge peuvent être très différentes. C’est le cas par exemple d’un ouvrier dans une fonderie (voir tableau 2 en page suivante). Dans cet autre exemple, pour un fondeur, le temps de récupération supplémentaire par rapport à ces 3 heures serait de 66,25 % de 3 heures, soit 1,987 heure arrondie à 2 heures, soit un repos quotidien de 13 heures.
À ce jour, rien dans la loi n’impose cette démarche, mais elle semble indispensable, car le juge apprécie d’abord, avec le principe de réalité, si l’employeur a su correctement évaluer la charge de travail de son personnel afin d’éviter tout risque professionnel et de ménager au mieux la santé de ses salariés.

Quelles sont les dérogations possibles ?

Il peut être dérogé à la durée minimale de repos :

  • par accord collectif dans six cas prévus par le Code du travail (24) ;
  • sur autorisation administrative en cas de surcroît d’activité (25) ;
  • à la seule initiative de l’employeur en cas de travaux urgents liés à la sécurité (26).



Dans tous les cas, il ne peut être dérogé au repos quotidien de 11 heures qu’à condition d’accorder aux salariés des périodes de repos au moins équivalentes ou, lorsque l’octroi de ce repos n’est pas possible, de prévoir, par accord collectif, une contrepartie équivalente pouvant prendre la forme d’une contrepartie financière (27). Cette disposition renvoie prioritairement la réduction du repos en deçà de 11 heures à une contrepartie en heures au moins égale aux heures de repos perdues. À défaut, une prime peut être envisagée sous la double réserve qu’elle fasse l’objet d’un accord collectif et qu’il soit objectivement impossible pour l’employeur d’accorder un repos équivalent. Comme indiqué précédemment, la jurisprudence Jaeger impose en fait en pareil cas la prise du repos supprimé dans la foulée immédiate.

Qu’en est-il du repos hebdomadaire ?

Tout salarié ne peut être en principe occupé plus de six jours par semaine et doit donc disposer d’un repos hebdomadaire d’une durée minimale de 24 heures consécutives (43). En pratique, chaque collaborateur doit bénéficier d’au moins un jour calendaire complet de repos (de 0 à 24 heures) toutes les semaines, auquel il faut ajouter les 11 heures consécutives de repos quotidien, ce qui donne 35 heures de repos hebdomadaire.
À moins d’une dérogation, le repos hebdomadaire doit en principe être donné le dimanche (44). Ces dérogations sont permanentes dans certains secteurs d’activité ou, à défaut, accordées sur autorisation administrative (45).

Qu’en est-il du temps de pause ?

Dès que le temps de travail quotidien d’un salarié atteint 6 heures, tout salarié bénéficie d’un temps de pause d’une durée minimale de 20 minutes (46). Ces dispositions du Code du travail, qui transposent l’article 4 de la directive sur le temps de travail selon lequel un temps de pause doit être accordé dès que le temps de travail journalier est supérieur à 6 heures, rappellent ensuite que des dispositions conventionnelles plus favorables peuvent fixer un temps de pause supérieur.
Nombre de questions surviennent à la lecture de cet article qui a été rédigé pour donner beaucoup plus de souplesse qu’il n’y paraît.
À la différence des dispositions relatives aux jeunes travailleurs de moins de 18 ans pour lesquelles aucune période de travail effectif ininterrompue ne peut excéder une durée maximale de quatre heures et demie, avec un temps de pause de 30 minutes (47), il est question ici de l’ouverture d’un droit à temps de pause avec l’accomplissement de 6 heures de travail. Cela pourrait signifier, notamment dans le cas où des dispositions conventionnelles fixeraient un temps de pause supérieur à 20 minutes, que le moment de prise de celle-ci pourrait se situer bien après 6 heures consécutives de travail. Dans le cas contraire, pourquoi le législateur aurait-il simplement rappelé le principe de faveur ? Il s’agit donc bien de permettre de moduler le moment de prise de cette pause.
À défaut de dispositions conventionnelles, la Cour de cassation avait pris clairement position sur le moment de prise de la pause légale en précisant que son bénéfice n’était ouvert qu’après 6 heures de travail effectif (48). Il en résulte qu’un temps de travail effectif de moins de 6 heures dans une journée n’ouvrait pas droit à un temps de pause de 20 minutes.
Un arrêt du 20 février marque un revirement. Et pour cette raison, il encourt la critique. Les salariés d’une superette disposaient d’une pause de 7 minutes payées par demi-journée de travail inférieure ou égale à 6 heures. La Cour de cassation vient préciser qu’une interruption de travail d’une durée de 7 minutes au cours d’une période de 6 heures ne dispense pas l’employeur d’accorder à un salarié les 20 minutes de pause obligatoires à partir de 6 heures de travail quotidien (49). Le texte légal est donc « réécrit » et la règle serait désormais que dès que le temps de travail quotidien atteint 5 heures et 40 minutes le salarié bénéficie d’un temps de pause d’une durée minimale de 20 minutes. Le juge a réduit la période de 20 minutes en faisant une confusion volontaire entre période de 6 heures et temps de travail de 6 heures. Comment appréciera-t-il la situation en cas de dispositions conventionnelles fixant un temps plus élevé ? Cette position porte-t-elle sur l’ouverture du droit uniquement ou aussi sur le moment. La position du juge aurait-elle été différente si une pause de 20 minutes était accordée après que 6 heures et 10 minutes de travail se soient écoulées ? Si une pause conventionnelle de 30 minutes était accordée après que 7 heures de travail se soient écoulées ? À suivre...

Ensuite, il doit s’agir d’une interruption d’activité et, donc, le respect des dispositions légales impose sans doute que cette pause ne remplisse pas les critères légaux relatifs au temps de travail effectif.
Peut-on la fractionner ? Le ministère du Travail a émis des réserves dans plusieurs arrêtés d’extension d’accords de branche (qui prévoyaient le fractionnement au nom de la nécessité d’un impact en termes de protection de la santé et de la sécurité de la pause). Un arrêt du 20 février 2013 (50) va dans le même sens. Les dispositions d’un accord d’entreprise qui prévoyait deux pauses de 15 minutes pour 6 heures 30 de travail quotidien contrevenaient aux dispositions légales et le temps de pause de 20 minutes ne peut être fractionné. Le texte légal évoque un temps de pause de 20 minutes et celui-ci est donc pris d’une seule traite. Ceci n’est valable que dans la limite d’une durée de 20 minutes, le temps supérieur à cette durée pouvant lui être sans doute fractionné.

Qu’en est-il pour les forfaits en jours ?

Depuis sa création par la loi Aubry II du 19 janvier 2000, on s’interroge sur la façon dont il est possible de s’assurer que le salarié respecte les heures des repos quotidien et hebdomadaire alors que l’employeur ne décompte que des journées et des demi-journées travaillées (51). La loi n’aborde qu’indirectement les heures de repos. C’est à l’occasion d’un entretien annuel individuel organisé par l’employeur que chaque salarié ayant conclu une convention de forfait en jours évoque sa charge de travail, l’organisation du travail dans l’entreprise, l’articulation entre l’activité professionnelle et la vie personnelle et familiale (52). La compatibilité des temps libres avec les jours travaillés ressort de cette dis position sans pour autant que soient mentionnés les temps de repos. C’est, une nouvelle fois, la jurisprudence qui va définir ce que la loi a passé sous silence.
Selon elle, toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect des durées maximales de travail, ainsi que des repos journalier et hebdomadaire.

Exemples de conventions collectives

Métallurgie : le bon exemple

La référence en la matière, selon Hervé Gosselin, Conseiller à la Cour de cassation, c’est la convention collective de la métallurgie du 28 juillet 1998 sur l’organisation du travail.
Celle-ci prévoit que :

  • le forfait en jours s’accompagne d’un contrôle du nombre de jours travaillés, afin de décompter le nombre de journées ou de demi-journées travaillées, ainsi que celui des journées ou demi-journées de repos prises ;
  • l’employeur est tenu d’établir un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées ou demi-journées travaillées, ainsi que le positionnement et la qualification des jours de repos en repos hebdomadaire, congés payés, congés conventionnels ou jours de repos au titre de la réduction du temps de travail ;
  • ce document peut être tenu par le salarié sous la responsabilité de l’employeur ;
  • le supérieur hiérarchique du salarié ayant conclu une convention de forfait en jours assure le suivi régulier de l’organisation du travail de l’intéressé et de sa charge de travail ;
  • en outre, le salarié ayant conclu une convention de forfait en jours bénéficie, chaque année, d’un entretien avec son supérieur hiérarchique au cours duquel seront évoquées l’organisation et la charge de travail de l’intéressé et l’amplitude de ses journées d’activité ;
  • cette amplitude et cette charge de travail devront rester raisonnables et assurer une bonne répartition, dans le temps, du travail de l’intéressé (53).


Ce n’est pas moins de six conditions qui sont imposées par le texte conventionnel, dont la dernière met en exergue les heures de repos à travers la notion d’« amplitude raisonnable ». Cette amplitude est examinée sous le prisme de la charge de travail qui doit être supportable et à ce titre, selon la Cour, l’accord métallurgie du 28 juillet 1998 assure bien, avec ces dispositions, la protection de la sécurité et de la santé du salarié soumis au régime du forfait en jours.

Commerce de gros : protection insuffisante

Statuant sur la convention collective du commerce de gros, la Cour estime que ni les dispositions qui prévoient un entretien annuel avec le supérieur hiérarchique, ni les stipulations de l’avenant qui, s’agissant de l’amplitude des journées de travail et de la charge de travail qui en résulte, ne prévoient qu’un examen trimestriel par la direction des informations communiquées sur ces points par la hiérarchie, ne sont de nature à garantir que l’amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition, dans le temps, du travail de l’intéressé et donc à assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié. Le forfait est donc inopposable au salarié (54).

Forfait en jours : importance de l’accord collectif

L’examen du tribunal s’attache plus à la réalité du contrôle de l’amplitude opéré par l’employeur qu’à la forme. Aussi, le juge, lorsqu’il est saisi d’un contentieux sur un forfait en jours, doit constater l’existence d’un accord d’entreprise ou d’établissement organisant les modalités de mise en place de la convention de forfait en jours. En ce sens, toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect des durées maximales de travail ainsi que des repos journalier et hebdomadaire (55). Les employeurs ne doivent pas confondre l’objectif poursuivi et les moyens de l’atteindre qui sont moins importants aux yeux du juge que le premier, s’il se réduit à une pétition de principe. Ainsi, souvent les partenaires sociaux rappellent dans l’accord l’existence de l’entretien annuel sans affirmer que l’employeur doit d’abord s’assurer d’une charge de travail normale pour les salariés concernés.

De fait, selon la Cour de cassation, sont privées d’effet les stipulations d’un accord d’entreprise se bornant à affirmer que les cadres soumis au forfait en jours sont tenus de respecter la durée minimale de repos quotidien et hebdomadaire, car elles ne sont pas de nature à assurer la protection de la santé et de la sécurité du salarié soumis au forfait en jours (56).

Cette jurisprudence, très critiquée, n’exige pas pour autant un décompte et un contrôle des heures de repos. En lieu et place du pointage des heures de repos qu’elle aurait pu pourtant imposer, elle exige un examen régulier de l’organisation du travail de l’intéressé et de sa charge de travail afin qu’elles soient compatibles avec les durées minimales des repos quotidien et hebdomadaire.

Si la rédaction de l’accord est primordiale pour assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié soumis au régime du forfait en jours, la mise en œuvre pratique est tout aussi importante. De fait, il ne faut pas oublier que, dans le premier arrêt rendu sur ce sujet (57), si la Cour a estimé l’accord parfait, il n’en a pas été de même de l’entreprise. Le juge a considéré que les stipulations de l’accord collectif de la métallurgie du 28 juillet 1998, dont le respect est de nature à assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié soumis au régime du forfait en jours, n’ont pas été observées par l’employeur et que la convention de forfait en jours était privée d’effet.

Questions à poser lors de l’entretien annuel

Si l’examen de la charge de travail des forfaits en jours est au cœur des sujets à évoquer, la formalisation de cette question est loin d’être simple. Déjà la plus grande partie des entreprises reconnaissent qu’il n’existe aucun item sur ce sujet dans leurs documentions sur l’entretien annuel. Or la rédaction d’une disposition sur ce point est primordiale. Tout d’abord pour résoudre la question de la preuve, et ensuite pour inciter les managers à prendre en compte cette problématique afin de cerner un point de friction au niveau de l’activité professionnelle de l’intéressé et d’y apporter une solution appropriée.
– Pour un extrait de livret d’entretien annuel, voir page suivante.

Que risque l’entreprise ?

Rappel d’heures supplémentaires

Tout d’abord, le non-respect d’un accord collectif, dont les stipulations sont de nature à assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié soumis au régime du forfait en jours, prive d’effet la convention de forfait en jours, ce qui permet au salarié de prétendre au paiement d’heures supplémentaires dont le juge doit vérifier l’existence et le nombre (58). Avec un salaire moyen de l’ordre de 5 000 euros, un cadre supérieur qui travaille 10 heures par jour peut obtenir plus de 130 000 euros de rappel d’heures supplémentaires sur cinq ans. Il est à noter que les dispositions du Code du travail relatives à la répartition de la charge de la preuve des heures de travail effectuées entre l’employeur et le salarié (59) ne sont pas applicables à la preuve du respect des seuils et plafonds prévus par le droit de l’Union européenne, qui incombe à l’employeur. En d’autres termes, l’employeur assume seul la preuve du respect des heures de repos et ne peut partager celle-ci avec son collaborateur (60).

Sanctions financières

Sur le plan pénal, le non-respect des temps de repos quotidien est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la quatrième classe. Les contraventions donnent lieu à autant d’amendes qu’il y a de salariés indûment employés (61). Ainsi, un responsable de site a été poursuivi pour 34 infractions au repos quotidien passibles de 58 amendes, soit 43 500 €, suite à un procès-verbal de l’inspection du travail. Sur 34 infractions, une dizaine relève des temps de repos quotidien de 10 heures 30 au lieu de 11 heures, les autres étant compris entre 10 heures 45 et 10 heures 55 (62).

Accident du travail et faute inexcusable

Ensuite, une surcharge de travail incontrôlée peut constituer un accident du travail, voire une faute inexcusable. Tel est le cas de cette salariée qui, après un voyage professionnel à Bogota, avait suivi un séminaire de travail le week-end à Juan-les-Pins et le matin de son décès avait, sur son lieu de travail, ressenti un violent mal de tête et était rentrée chez elle avec son ordinateur portable en vue de terminer les matériels de présentation des séminaires à venir. Pour le juge, alors qu’elle est décédée à son domicile, il s’agit bien d’un accident du travail (63).

Extrait d’un livret d’entretien annuel

Cette partie de notre entrevue porte sur le niveau de votre charge de travail et sa compatibilité avec votre propre rythme biologique et votre vie privée.
(Cochez la case concernée pour chaque item)
Comment appréciez-vous votre niveau de charge de travail ?
40 ▪ Assumée
20 ▪ Supportable
10 ▪ Excessive
0 ▪ Insurmontable. Dans ce cas, quelles en sont les raisons ?

Comment remédier à cette situation ?
L’organisation du travail dans l’entreprise vous semble-t-elle ?
20 ▪ Idéale
10 ▪ Adaptée
5 ▪ Inadaptée
0 ▪ Non maîtrisable. Dans ce cas, que faut-il modifier ?

La conciliation entre l’activité professionnelle et la vie personnelle et familiale est-elle ?
40 ▪ Possible
20 ▪ Supportable
10 ▪ Difficile
0 ▪ Impossible. Dans ce cas, quelles sont les difficultés auxquelles vous êtes confronté(e) ?

→ Total sur 100 = < > % (retenir un plan d’action de résorption si le total est inférieur à 30 %)
Au regard de votre activité professionnelle et de la charge de travail qui en résulte, votre rémunération vous apparaît-elle ?
▪ Satisfaisante
▪ Imparfaite
▪ Défectueuse
▪ Incomplète.
Dans ce cas, préciser en quoi.

Enfin, cela peut conduire à la mise en cause de la responsabilité contractuelle de l’entrepreneur à l’égard de son client. Ainsi, un chauffeur livreur qui a un accident et endommage le matériel qu’il transporte rend son employeur responsable d’une faute d’une extrême gravité confinant au dol et constituant une faute lourde, dès lors qu’il s’est assoupi au volant car il est parti avec retard en raison d’un temps de repos nocturne insuffisant et que le délai pour effectuer le trajet était déraisonnable puisqu’il fallait parcourir 336 km en moins de 3 heures 20, soit à une vitesse de plus de 100 km/h en moyenne.
Dans ces conditions, le chauffeur a donc pris des risques excessifs et inconsidérés pour rattraper son retard et a été soumis à une forte tension induite par un rythme stressant ne tenant pas compte de ses nécessités biologiques, ce qui a entraîné la responsabilité du transporteur vis-à-vis de son client pour rembourser ce dernier des marchandises détériorées (64).
Avec l’introduction dans le Code du travail d’ici l’été des « accords de maintien dans l’emploi », institués par l’ANI du 11 janvier 2013, la condition de repos va prendre de plus en plus de place. Car négocier pour travailler plus sans être payé plus pour sauver son emploi ne doit pas se faire au détriment de la santé des salariés.

Auteurs : Par Sylvain Niel Directeur du département GRH Fidal 14, bd du Général-Leclerc 92527 Neuilly-sur-Seine Cedex Tél. : 01 47 38 54 00 Sylvain.niel@fidal.fr, et Franck Morel Avocat associé, Barthélémy avocats, Auteur de « Durée et aménagement du temps de travail »

Note :
1 : Dir. no 93/104/CE, 23 nov. 1993 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, modifiée par Dir. no 2000/34/CE, 22 juin 2000 et remplacée par Dir. no 2003/88/CE du Parlement Européen et du Conseil, 4 nov. 2003.
2 : CJCE, 7 sept. 2006, aff. C-484/04.
3 : CJCE, 9 sept. 2003, aff. C-151/02.
4 : CJUE, 24 janv. 2012, aff. C-282/10.
5 : Notamment CJUE, 20 janv. 2009, aff. C-350/06.
6 : C. trav., art. L. 3131-1.
7 : Cass. soc., 23 sept. 2009, no 07-44.226.
8 : L. no 98-461, 13 juin 1998, art. 7.
9 : C. trav., art. L. 3111-2.
10 : Circ. 24 juin 1998 relative à la réduction du temps de travail.
11 : Cass. soc., 27 juin 2012, no 10-21.306.
12 : C. trav., art. D. 3131-7.
13 : Cass. soc., 26 sept. 2012, no 11-14.540.
14 : C. trav., art. L. 3111-1.
15 : C. trav., art. L. 3111-2.
16 : Cass. soc., 31 janv. 2012, no 10-24.412.
17 : Cass soc., 29 juin 2011, no 09-71.107.
18 : Cass. soc., 12 oct. 2004, no 03-44.084.
19 : Cass. soc., 27 juin 2012, nos 10-27.726, 10-27.727, 10-27.729 et 10-27.730.
20 : C. trav., art. L. 3121-6.
21 : Cass. soc., 22 juin 2011, no 11-40.022.
22 : C. trav., art. L. 3121-34 (durée maximale de travail effectif par jour).
23 : C. trav., art. L. 3131-1 (amplitude maximale).
24 : C. trav., art. L. 3131-2, D. 3131-1 et D. 3131-2.
25 : C. trav., art. D. 3131-4 ; C. trav., art. D. 3121-16 à D. 3121-18.
26 : C. trav., art. D. 3131-5 ; C. trav., art. D. 3121-17 et D. 3121-18.
27 : C. trav., art. D. 3131-6.
42 : C. trav., art. D. 3171-10.
43 : C. trav., art. L. 3121-46.
44 : Cass. soc., 29 juin 2011, no 09-71.107.
45 : Cass. soc., 26 sept. 2012, no 11-14.540.
46 : Cass. soc., 19 sept. 2012, no 11-19.016.
47 : Cass. soc., 31 janv. 2012, no 10-19.807.
48 : Cass. soc., 29 juin 2011, no 09-71.107.
49 : Cass. soc., 29 juin 2011 précité.
50 : C. trav., art. L. 3171-4.
51 : Cass. soc., 17 oct. 2012, no 10–17.370.
52 : C. trav., art. R. 3135-1.
53 : TI, 6 févr. 2012, no 11/001168218.
54 : Cass. soc., 18 févr. 2010, no 08-19.222.
55 : Cass. com., 10 juill. 2012, no 11-15.128.

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