Un temps de pause rémunéré n’est pas un avantage individuel dès lors qu’il est incompatible avec l’organisation collective du temps de travail

Publié le par bara de la cgt

Lorsqu’une convention ou un accord collectif a été mis en cause sans être remplacé par une nouvelle convention ou un nouvel accord dans les délais requis, les salariés des entreprises concernées conservent les avantages individuels qu’ils ont acquis, en application de la convention ou de l’accord, à l’expiration de ces délais.
Un temps de pause, dont le maintien est incompatible avec le respect par l’ensemble des salariés concernés de l’organisation collective du temps de travail qui leur est désormais applicable, est un avantage collectif et non un avantage individuel acquis.

 

LES FAITS

Un accord collectif de réduction du temps de travail applicable au sein d’un restaurant d’entreprise prévoyait au profit des salariés une pause journalière de 45 minutes, considérée comme un temps de travail effectif.

 

À l’occasion d’un changement d’employeur, cet accord collectif est remis en cause, sans que soit signé un accord de substitution.

Plusieurs salariés, estimant bénéficier de cet avantage, continuent néanmoins de prendre leur pause quotidienne de 45 minutes. Ils font alors l’objet d’avertissements de la part de l’employeur.

 

Ils saisissent la juridiction prud’homale pour faire juger que ce temps de pause, considéré comme un temps de travail effectif, est un droit individuel acquis.

LES DEMANDES ET ARGUMENTATIONS

Par un arrêt du 14 mai 2009, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence accueille favorablement la demande des salariés. Pour les juges du fond, le temps de pause rémunéré constitue bien un avantage individuel acquis incorporé au contrat de travail, en ce qu’il définissait la structure de la rémunération qui ne peut être modifiée sans l’accord des salariés.

LA DÉCISION, SON ANALYSE ET SA PORTÉE

Cette décision est censurée sous le visa de l’article L. 2261-14 du Code du travail :


« Attendu, selon ce texte, que lorsque la convention ou l’accord mis en cause n’a pas été remplacé par une nouvelle convention ou un nouvel accord dans les délais précisés au premier alinéa, les salariés des entreprises concernées conservent les avantages individuels qu’ils ont acquis, en application de la convention ou de l’accord, à l’expiration de ces délais ; que constitue, notamment, un avantage collectif, et non un avantage individuel acquis, celui dont le maintien est incompatible avec le respect par l’ensemble des salariés concernés de l’organisation collective du temps de travail qui leur est désormais applicable. »


Un temps de pause rémunéré n’est pas un avantage individuel acquis...
Lorsqu’un accord collectif est dénoncé, l’employeur doit entamer une négociation dans le but de conclure un nouvel accord. C’est ainsi qu’en cas de modification d’employeur, l’article L. 2261-14 du Code du travail maintient les effets de la convention dénoncée jusqu’à l’entrée en vigueur de l’accord de substitution et, à défaut, pendant un an à compter de l’expiration du délai de préavis (soit 15 mois en tout), sauf clause de l’accord dénoncé prévoyant une durée supérieure.

Si, à l’expiration du délai de survie, aucun accord de substitution n’est conclu, les salariés concernés conservent le bénéfice des avantages individuels qu’ils ont acquis en application de l’accord dénoncé (Cass. soc., 12 oct. 2005, no 03-40.294, JSL, 29 nov. 2005, no 178-8). En revanche, par opposition, ils ne peuvent pas se prévaloir d’avantages collectifs.

Mais qu’est-ce qu’un avantage individuel acquis ? C’est, pour la Cour de cassation, celui qui procure au salarié une rémunération ou un droit dont il bénéficiait à titre personnel et qui correspondait à un droit déjà ouvert et non simplement éventuel

 

(Cass. soc., 13 mars 2001, no 99-45.651, JSL, 10 avr. 2001, no 77-5 ; Cass. soc., 23 mai 2006, no 04-42.779).

L’exemple classique est celui de la structure de la rémunération. Pour la Haute Juridiction, celle-ci, résultant d’un accord dénoncé, constitue un avantage individuel acquis qui est incorporé au contrat de travail des salariés concernés.

 

L’employeur ne peut donc la modifier sans l’accord de chacun des salariés, quand bien même il estimerait que les nouvelles modalités de rémunération seraient plus favorables pour les intéressés (Cass. soc., 1er juill. 2008, no 07-40.799, JSL, 15 sept. 2009, no 240-5).

... dès lors que son maintien est incompatible avec l’organisation collective du travail


Dans le cas d’espèce de l’arrêt du 8 juin 2011, les salariés considéraient que la suppression du temps de pause rémunéré constituait une modification de la structure de leur rémunération. Les juges du fond avaient d’ailleurs repris cette argumentation se fondant sur un précédent arrêt de la Cour de cassation qui, dans un cas d’espèce similaire, avait statué en ce sens (Cass. soc., 16 sept. 2008, no 07-43.580).

Or, dans l’arrêt du 8 juin 2011, les Hauts Magistrats modifient leur position en se plaçant, non plus sur le terrain de la rémunération, mais sur celui de la durée du travail. Ils vont énoncer qu’un avantage n’est pas individuel dans la mesure où son maintien est incompatible avec le respect, par l’ensemble des salariés concernés, de l’organisation collective du temps de travail qui leur est désormais applicable.

Or, en l’espèce, le maintien des temps de pause rémunérés conduisait les salariés à travailler, chaque jour, 45 minutes de moins que le temps de travail fixé.

 

Dans ces conditions, ces temps de pause étaient incompatibles avec l’organisation collective du travail. Les salariés n’étaient donc pas en droit de se prévaloir du maintien de cette disposition de l’accord collectif dénoncé, une fois le délai de survie passé.

C’est la première fois, à notre connaissance, que la Cour de cassation se place sur le terrain de l’organisation collective du travail en la matière.

 

 

 

Texte de l’arrêt

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Vu l’article L. 2261-14 du code du travail ;
Attendu, selon ce texte, que lorsque la convention ou l’accord mis en cause n’a pas été remplacé par une nouvelle convention ou un nouvel accord dans les délais précisés au premier alinéa, les salariés des entreprises concernées conservent les avantages individuels qu’ils ont acquis, en application de la convention ou de l’accord, à l’expiration de ces délais ; que constitue, notamment, un avantage collectif, et non un avantage individuel acquis, celui dont le maintien est incompatible avec le respect par l’ensemble des salariés concernés de l’organisation collective du temps de travail qui leur est désormais applicable ; Attendu, selon l’arrêt attaqué, que M. X... et cinq autres salariés de la société Sogeres, laquelle a repris le 1er décembre 2003 l’exploitation du restaurant d’entreprise de la Poste de Marseille, ont fait l’objet de sanctions disciplinaires sous la forme d’avertissements pour ne pas travailler chaque jour 45 minutes de plus que « l’horaire légal « ; qu’ils ont saisi la juridiction prud’homale pour qu’elle dise qu’en l’absence de conclusion d’un accord de substitution, ils devaient continuer à se voir appliquer l’avantage, issu de l’accord collectif du 27 juillet 2001 conclu dans l’entreprise cédante, consistant au bénéfice d’une pause journalière de 45 minutes considérée comme un temps de travail effectif ; Attendu que pour accueillir leur demande, l’arrêt énonce que l’accord du 27 juillet 2001, qui n’a pas été suivi de la conclusion d’un accord de substitution, ménageait à chaque salarié un avantage individuel acquis qui était incorporé à son contrat de travail, en ce qu’il définissait la structure de sa rémunération qui ne peut être modifiée sans l’accord de ces salariés ; qu’en d’autres termes, c’est de manière artificielle que l’employeur a cru pouvoir substituer un usage au contenu d’un accord collectif qui faisait corps avec chaque contrat de travail ; Qu’en statuant ainsi, alors qu’il résultait de ses propres constatations que le maintien de cet avantage était incompatible avec le respect par les salariés concernés de l’organisation collective du travail qui leur était applicable, puisque cela les conduisait à travailler 45 minutes de moins que le temps de travail fixé, ce dont elle aurait dû déduire que cet avantage ne constituait pas un avantage individuel acquis par les salariés, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 14 mai 2009, entre les parties, par la cour d’appel d’Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence, autrement composée ; Condamne M. X..., Mmes Y..., Z..., C..., M. A..., Mme B... et le syndicat CGT Sogeres aux dépens ; Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ; Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt cassé ; Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du huit juin deux mille onze.

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